En réaction aux mesures sanitaires imposées à l'Église, l'évêque de Cahors, s'interroge sur la légitimité des décisions prises par l'État, envers les cultes.
Dans une longue lettre adressée, publiée ci-après, aux chrétiens du Lot, Mgr Laurent Camiade, évêque de Cahors, rappelle en substance, la tradition constante de l’Église « de suivre les mesures selon les règles données par les autorités », en même temps que l’État se doit de « respecter l’autonomie des cultes ». Dans ce contexte de crise sanitaire, liée au coronavirus, l’évêque de Cahors appelle l’Etat à reconnaître le rôle spécifique des Églises, dans le service du Bien commun.
« Depuis près d’un mois et demi, nous sommes privés de la célébration publique du culte dans nos églises, essentielle pourtant pour la vie sacramentelle des baptisés.
Mardi 28 avril, notre Premier ministre a présenté à l’assemblée nationale les conditions de la reprise prochaine mais lente des activités sociales, commerciales et professionnelles. Parmi de nombreuses et complexes explications, il a glissé devant nos députés, dont aucun n’a semblé s’en émouvoir, que les célébrations cultuelles ne pourraient pas reprendre avant le 2 juin. Cette annonce pose aux pasteurs de l’Église catholique, de véritables questions, en particulier sur la possibilité pour nous de rester centrés sur le but de notre mission : le Salut des âmes. Nous sommes invités à lire la ferme réaction des évêques à ce sujet.
Interrogation sur la « légitimité des mesures sanitaires imposées à l’Église »
Beaucoup de prêtres et de fidèles, s’interrogent sur la légitimité des mesures sanitaires imposées à l’Église, sur la soumission de tous les évêques et des fidèles aux autorités.
Nous le savons, la crise actuelle a ceci d’absolument inédit qu’en s’exposant soi-même à la contamination, on met aussitôt les autres en danger et que l’on court le risque grave de participer à la saturation des moyens hospitaliers. La seule décision individuelle de s’exposer ou non au virus n’est donc pas une question de peur pour sa propre vie, mais de mise en danger de la vie d’autrui. C’est une sérieuse responsabilité. Cela nous rappelle que nous sommes des êtres sociaux et non des individus isolés. Il nous est impossible, il serait irresponsable dès lors, de ne pas tenir compte des recommandations, des exigences, émanant des autorités sanitaires et politiques.
Toutefois, la question de notre rapport aux autorités civiles est une vraie question doctrinale de foi, qui revêt désormais, en ce temps de déconfinement, une acuité accrue.
« Il est regrettable que les formulaires des attestations dérogatoires de déplacement ne prévoient pas la possibilité de se rendre à son lieu de culte »
Déjà, j’avais été troublé d’apprendre, samedi 14 mars au soir, par l’appel téléphonique d’un prêtre, lui-même averti par des paroissiens, que le Premier ministre venait d’annoncer que les églises seraient fermées le lendemain. Une décision unilatérale de l’État, en dehors d’un contexte aussi sérieux et aussi spécifique, serait totalement illégale au regard du droit français qui reconnaît la liberté de culte. J’ai été rassuré que le préfet m’appelle le lendemain pour en parler et savoir quel était mon état d’esprit et ce que j’avais décidé pour le diocèse. Bien sûr, j’avais suivi la consigne et demandé aux prêtres de ne pas ouvrir les églises, car les motifs d’urgence étaient clairs et je savais que le pape lui-même avait fait pour le Vatican un tel choix sanitaire douloureux. Le gouvernement français, dans le système de séparation des Églises et de l’État, même en cas de crise sanitaire ne saurait légiférer sur le culte, mais éventuellement sur la liberté des personnes à se déplacer. Il est ainsi très regrettable que dans les formulaires d’attestation dérogatoire de déplacement, les besoins spirituels, métaphysique en général, n’aient pas été mentionnés parmi les motifs de déplacement indispensables, tandis que, par ailleurs, il a été reconnu dans les textes que les églises pouvaient rester ouvertes et que chacun pouvait se rendre dans son lieu de culte pour y prier individuellement.
« On ne se préoccupe plus que des soins physiques ou psychiques »
De même, comme l’a fait remarquer Mgr de Moulins-Beaufort*, il est à déplorer que « le « plan blanc », activé lorsque nos hôpitaux sont mobilisés par une catastrophe, prévoit que les aumôniers, comme tout le personnel non nécessaire, n’y aient plus accès. Au moment où davantage de personnes risquent de mourir, on ne se préoccupe plus que des soins physiques ou psychiques, comme si, brusquement, l’être humain était réduit au corps et au cerveau, alors qu’il doit affronter la mort. »
Il est nécessaire de rappeler avec fermeté que l’autorité de l’Église, en son âme et conscience, est entière et non discutable, dans sa manière d’organiser le culte à l’intérieur des églises. Celles-ci lui sont affectées de manière exclusive, gratuite et définitive, selon la Loi de 1905. En faisant entrer les célébrations cultuelles dans le cadre des rassemblements, tous interdits, une sorte d’amalgame transparaît. De fait, en matière sanitaire, il semble y avoir peu de différence entre aller au cinéma ou dans une église pour une assemblée liturgique. Or l’enjeu ou la nécessité vitale entre ces deux démarches ne peut être comparé.
Lorsque, pour des raisons sanitaires, l’État impose des règles à toute la société, l’Église s’y soumet librement parce qu’elle reconnaît l’autorité civile en tant qu’elle est responsable du Bien commun et de la sécurité des personnes.
Comme l’a si bien enseigné le saint pape Jean-Paul II, qui avait connu deux totalitarismes, il est nécessaire de développer des sphères d’autonomie entre le politique et le religieux. Cette autonomie est réciproque et nécessite un entier respect de part et d’autre des droits et des devoirs de chacun : l’État et l’Église.
« Adhérer sans réserve à toutes les règles sanitaires, tout en ayant la possibilité d’aménager la manière de célébrer le culte en conséquence »
Obéir aux règles sanitaires imposées à tous par l’État, n’est pas un renoncement aux droits de Dieu, lesquels restent au-dessus du droit des hommes (cf. Ac 5,29). Mais cela exprime notre volonté, comme catholiques, de participer au Bien commun de toute la société. Nous pouvons adhérer sans réserve à toutes les règles sanitaires édictées pour aménager notre manière de célébrer le culte de Dieu pour le Salut des âmes, mais nous ne pouvons accepter que l’État, sans explication, nous impose l’interdiction du culte, s’il autorise en même temps toutes sortes d’autres activités, parfois plus problématiques en termes de contagion. Il y a là, à tout le moins, un manque de considération. Or, dans l’absolu, nous n’avons aucune demande à formuler auprès d’un gouvernement laïc pour exercer le culte.
Toutefois, suivre les mesures selon les règles données par les autorités en charge de notre nation (quelles qu’elles soient, que nous les aimions ou pas) tant que ces règles ne contredisent pas la loi divine, fait partie de la tradition constante de l’Église (Rm 13,1 ; 1 P 2,13).
Il faut par ailleurs saluer les différents échanges ayant eu lieu, de fait entre nos gouvernants et les responsables des différents cultes. Ceux-ci donnent à ceux qui y participent le sentiment d’être respectés et que nous ne sommes pas en situation de nous voir confisquer la liberté religieuse ni la liberté de culte.
Respect des règles sanitaires et respect de l’autonomie des cultes aussi
Aujourd’hui, votre Évêque, avec bien d’autres, s’interroge avec gravité. Lors de sa venue aux Bernardins, le Président Macron avait demandé à l’Église catholique de remplir tout son rôle dans la construction de la société française. Nous ne demandons aujourd’hui rien de plus, dans le strict respect conjoint et réciproque des règles sanitaires d’un côté et de l’autonomie des cultes de l’autre.
Dans les jours qui viennent, en lien avec les autres évêques de France, avec tous ceux qui désirent y participer, je souhaite poursuivre cette réflexion, afin que nous puissions réellement jouer notre rôle spécifique, au service du Bien commun, en particulier pour stimuler la générosité du cœur de nos contemporains en ces temps où une solidarité forte est requise et pour répondre à la grande soif spirituelle de nos contemporains qui ne sont pas des machines psychosomatiques mais qui ont chacun un cœur ardent à faire le bien et ont besoin de trouver un sens aux efforts qui leurs sont demandés. »
[Laurent Camiade, évêque de Cahors]
*Président de la Conférence épiscopale des évêques de France.
ACTULOT du 3 m
ai 2020
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